La Tribune – Démocratie: le mode de scrutin est-il la clef ?

Une nouvelle tribune du Supplément Enragé, consacrée aux différents idées de renouvellement des modes de scrutin et leurs intérêts pour la démocratie. Par Stanislas Montamat.

À l’approche de nouvelles élections importantes (présidentielles, législatives), fleurissent moultes propositions de changements du mode de scrutin : introduction de la proportionnellevote par anticipation etc… L’ancrage de l’abstentionnisme bouleverse les démocraties historiques, qui se confrontent à une forte crise de légitimité des gouvernants. De plus, la remise en cause du système représentatif a pour conséquence une réflexion sur les modalités électives et notamment l’attirance vers de nouveaux modes de scrutin. Regard sur des alternatives convoitées par les partis politiques historiques.

Les enjeux du vote par anticipation

Face à la crise sanitaire, la question d’adopter le vote par correspondance a fortement interrogé l’opinion publique. Utilisé aux États Unis pour l’élection présidentielle, ce vote par anticipation suscite de nombreuses questions et a créé de nombreuses polémiques dans les médias. D’une part, la fraude, un prétexte que Donald Trump a tenté en vain d’utiliser afin de contredire le résultat des votes qui n’étant pas à son avantage, d’autre part, des enjeux de confidentialité et de possibles pressions sont à relever. En effet, si l’isoloir fut mis en place, ce fut car les électeurs devaient être dans la possibilité de se trouver au moment décisif du vote dans un lieu où personne ne pourrait opérer de pression sur eux. Ce que ne garantit absolument pas le vote par correspondance. Même si ce n’est pas la principale raison, l’adoption du vote par correspondance a donc été déclinée le 17 février 2021 au Sénat, ne faisant l’unanimité ni à gauche, ni à droite.

Différents modes de scrutin comme solution

Une première méthode : celle de Condorcet, grand philosophe des Lumières, élu de la ville de Paris à l’Assemblée Nationale, rédacteur d’un projet de loi pour une éducation nationale obligatoire et laïque et preux défenseur du droit de vote accordé aux femmes. Dans cette méthode, le bulletin de vote de chaque électeur comporte la liste des candidats classés par ordre de préférence. Le vainqueur est le candidat qui, comparé à tous les autres, s’avère à chaque fois le préféré. La méthode Condorcet fait ressortir la préférence majoritaire. Seulement, elle comporte un inconvénient majeur, connu sous le nom de paradoxe de Condorcet : certaines situations ne permettent pas de déterminer de vainqueur.

Une seconde méthode est alors apparue : la méthode Borda, d’un célèbre mathématicien, physicien et politologue. Comme pour la méthode de Condorcet, les électeurs fournissent une liste de « N » candidats par ordre préférentiel. Puis « N » points sont accordés au candidat lorsqu’il arrive en tête et « N-1 » lorsqu’ils sont en second choix, etc. Ainsi le résultat sera différent entre les deux méthodes. Seulement, si on applique la méthode de Borda par élimination successive du score le plus faible, on trouvera alors le même résultat que par la méthode de Condorcet.

Enfin, une dernière méthode a permis de faire face aux éventuels problèmes rencontrés dans ces différents modes de scrutin : la méthode de Black, grand économiste du XXe siècle. Comme on l’a vu précédemment, le scrutin de Condorcet peut ne pas désigner de gagnant. Pour contourner cette difficulté, Black a eu l’idée d’associer la méthode Borda à la méthode Condorcet quand celle-ci ne donnait pas de résultat convaincant. En somme, ces méthodes permettraient de mieux représenter les candidats, et par conséquent, sur le long terme d’accroître la participation aux votes.

Le vote est-il légitime ?

Ainsi, de multiples améliorations ont été proposées pour moderniser et adapter aux technologies d’aujourd’hui les propositions de nos ancêtres des Lumières. Mais une question fondamentale se pose : l’agrégation des choix individuels conduit-elle automatiquement au choix de la société ? Si l’on en croit certains sociologues très médiatisés, comme Gerald Bonner ,auteur d’ « apocalypse cognitive », le peuple ne réagit qu’à des stimuli primaires hérités de nos ancêtres du Néolithique et, de ce fait, ne peut choisir raisonnablement. À l’inverse, dans un souci d’objectivité, il serait possible d’étudier les expérimentations déjà réalisées, et il y en a, y compris aujourd’hui, pour proposer un mode de scrutin nous amenant vers plus de démocratie.

Le mode de scrutin est-il la réponse ?

Enfin, dans ce contexte d’affaiblissement de la démocratie et de crise de la représentativité, la bonne réponse se trouve-t-elle dans les interrogations envers les modes de scrutin ? En effet, alors que les partis politiques traditionnels se confrontent à une montée du nationalisme comme au désintérêt des français pour l’élection, les populations contestataires accusent les gouvernants de ne pas agir dans leur intérêt. Une crise de légitimité propice au développement de discours politiques opportunistes de droite comme de gauche, qui flattent les tensions identitaires mais ne formulent pas de contre-projet. Leur entrée dans les parlements européens notamment laisse profiler une fracture nette entre les espoirs des partis traditionnels et les choix des populations.« L’émeute est un phénomène historique qui peut être infra-politique. L’insurrection, quant à elle, est un phénomène qui noue la politique à l’histoire. Si l’émeute est ambiguë et que de façon générale elle demeure obscure et ne renverse que rarement le pouvoir, l’insurrection est, quant à elle, « la rencontre de la vérité ». C’est le moment où le peuple s’inscrit dans l’histoire. »

Sources
  • Le Sénat étudie la faisabilité du vote par correspondance“, Le Monde (18 novembre 2020)
  • Condorcet, Essai sur l’application de l’analyse à la probabilité des décisions rendues à la pluralité des voix, PARIS IMPRIMERIE ROYALE, 1785.
  • Jean Charles de Borda, Mémoire sur les élections au scrutin Histoire de l’Académie Royale des sciences, Paris, 1781 
  • Duncan Black “sur la justification de la prise des décisions en groupe “ Journal d’Économie politique 56 23-34
  • Duncan Black, “La théorie des comités et des élections”, 1958, Cambridge University Press  
  • Photographie de couverture: AFPFrédérick Florin

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