Une nouvelle Enquête du Supplément Enragé sur la situation critique de la jeunesse tunisienne, 10 ans après que le pays a, par cette jeunesse, lancé le mouvement du Printemps arabe.
par Alexandra Marchand
Une jeunesse sacrifiée aux lendemains de la Révolution en Tunisie
Il y a 10 ans, le peuple Tunisien se soulevait contre le régime dictatorial de Ben Ali, engendrant un mouvement de contestation au Moyen-Orient, connu sous le nom de « Printemps arabe« . Aujourd’hui, le pays fait face à un chômage immuable, la corruption, et une montée croissante du djihadisme. Retour sur les fleurs fanées de la « révolution du jasmin« .
Ben Ali: 23 ans de règne en Tunisie

Le 7 novembre 1987, Zine el-Abidine Ben Ali, connu sous le nom de Ben Ali, accède au pouvoir à la faveur d’un coup d’État médical. Premier ministre dans le temps, il fait jouer l’article 57 de la Constitution de 1959 et fait appel à sept médecins afin d’évaluer Habib Bourguiba. Père de l’indépendance et président, il est déclaré dans l’incapacité d’exercer et d’assumer ses fonctions, se trouvant en état de sénilité. Président de la République tunisienne entre 1957 et 1987, Habib Bourguiba avait obtenu l’indépendance de son pays le 25 juillet 1957 et s’applique à mettre sur pied un État moderne. L’ascension au pouvoir de Ben Ali s’inscrit cependant dans un contexte de tensions politiques et économiques dû à la montée croissante de l’islamisme. L’été 1987 fut particulièrement traumatisant pour la Tunisie, meurtrie par les attentats terroristes visant des hôtels touristiques de Sousse et de Monastir.
Cependant, sous la présidence de Ben Ali la Tunisie jouit d’une image très positive dans le monde occidental, classée première en matière de compétitivité économique dans le continent. Son personnage est également apprécié de par sa carrière militaire exercée en France et aux États-Unis, mais également grâce à la place qu’il accorde aux femmes. En effet, celles-ci obtiennent en 1993 la suppression de l’obligation d’obéissance à leurs maris, héritage de l’ère bourguibienne. Une fois installé au pouvoir, il promet une modernité politique au sein d’un gouvernement multipartite. :
L’époque que nous vivons ne peut plus souffrir ni présidence à vie ni succession automatique à la tête de l’État desquels le peuple se trouve exclu. Notre peuple est digne d’une vie politique évoluée et institutionnalisée, fondée réellement sur le multipartisme et la pluralité des organisations de masse ».
Ben Ali
Ses promesses sont cependant très vite oubliées, et il instaure progressivement un régime répressif appuyé par l’appareil policier. Ses opposants sont arrêtés et gardés sous silence, la presse est censurée et surveillée, les contestations sont étouffées, et il instaure un système de surveillance de toute la population. Ses 23 ans de règne seront tout de même soutenues par la majeure partie de la communauté internationale, Ben Ali représentant un élément de rempart contre l’islamisme.
La révolution du jasmin

La révolution tunisienne, connue également sous le nom de « révolution du jasmin », débute le 17 décembre 2010 suite à l’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi. Jeune vendeur ambulant de fruits et légumes, il met fin à ses jours après avoir vu sa marchandise être confisquée par les autorités à Sidi Bouzid. Ce drame marque alors le coup d’envoi de la révolution, engendrant des manifestations durant lesquelles le peuple tunisien conteste la corruption, la répression policière et le chômage. Malgré les répressions du gouvernement de Ben Ali, les manifestations s’étendent dans l’ensemble du pays résultant à une grève générale.
Chassé par le peuple, Ben Ali fuit le pays avec sa femme et son fils vers l’Arabie Saoudite le 14 janvier 2011. La justice tunisienne réclame alors son extradition et il est condamné par contumace à plus de cent ans d’emprisonnement pour affaires de violation des droits de l’homme. Les manifestations continues entrainent alors la nomination d’un nouveau gouvernement dirigé par Béji Caîd Essebi, sous la houlette de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution. Le parti de Ben Ali, le Rassemblement constitutionnel démocratique, est dissolu le 9 mars 2011. En 2014, le pays se dote d’une Constitution posant les bases d’un régime semi-parlementaire, saluée comme un compromis historique. Les avancées politiques se poursuivent avec des élections équitables et une libération de la parole sans précédent.
Le peuple tunisien aux abois

10 ans après la chute de Ben Ali, l’absence de progrès social et l’accélération de l’islamisme radical font fuir la jeunesse tunisienne. Le taux de chômage national avoisine les 15%, 1/3 de la population vit sous le seuil de pauvreté et la corruption continue d’entraver l’économie du pays. Certaines régions sont plus particulièrement touchées comme le Gouvernorat de Tataouine dans laquelle près de 30 % de la population est au chômage. Bien que d’autres régions concentrent de nombreuses ressources naturelles telles que du pétrole, du marbre et du gypse, elles connaissent une forte marginalité due au chômage affectant sa population.
La jeunesse tunisienne n’a ni droits et ni accès à une protection sociale, une situation qui est d’autant plus aggravée par la pandémie de la Covid-19. N’ayant pas d’autres choix et rêvant d’un futur meilleur, de nombreux jeunes fuient le pays vers les côtes italiennes. Cette immigration se fait de manière autonome et sans passeur, engendrant de nombreux drames en Méditerranée. Victime d’une montée sans précédent de l’islamisme radical, la Tunisie devient exportatrice et victime du terrorisme. Une augmentation d’attentats commis par des tunisiens se fait ressentir, également en France telle que l’assassinat d’une agent administrative à Rambouillet, ou l’attentat du musée du Bardo, près de Tunis en 2015. Cette montée de l’islamisme radical provient au sein même du Parlement qui répand sa haine, avec pour exemple Rached Khiari, ancien député du parti Al Karama. Son parti étant d’inspiration islamiste radicale, le lendemain de l’assassinat du professeur Samuel Paty il déclare: « L’offense au messager d’Allah est le plus grave des crimes, et celui qui le commet doit en subir les conséquences ». L’influence grandissante des députés professant un islam rigoriste inquiète le pouvoir central tunisien, craignant la réalisation d’un coup d’État constitutionnel islamiste. Aujourd’hui, c’est la population tunisienne qui en paie le prix, la situation économique et politique balayant une jeunesse précarisée et affaiblie par la situation sanitaire.
Sources
- Photo de couverture: Expo graphique autour de la révolution tunisienne, dessin de Mohamed Guiga
- « Tunisie: 10 ans après la révolution, une société en métamorphose », [en ligne], AA
- Mathieu Galtier, « Immigration: les jeunes Tunisiens de plus en plus tentés par l’exode« , [en ligne], JDD (18 septembre 2018)
- « Tunisie: décès de l’ancien président tunisien Ben Ali« , [en ligne], Courrier International (19 septembre 2019)