Les Enquêtes – Mohammed ben Salmane: le puissant héritier de la dynastie des Al Saoud
Une nouvelle enquête du Supplément Enragé consacrée à Mohammed ben Salmane, jeune figure héritière de la famille Al Saoud.
par Alexandra Marchand
À l’arrivée au trône du Roi Salmane en 2015, celui-ci fait de son fils, Mohammed ben Salmane l’homme le plus puissant d’Arabie Saoudite, le nommant prince héritier en 2017. Jeune, autoritaire et ambitieux, il jongle entre une politique réformiste et une politique autoritaire, cherchant à entrevoir une refonte profonde de l’approche de l’Islam Saoudien, tout en multipliant les interventions diplomatiques, notamment au Yémen et au Qatar.
La grande dynastie des Al Saoud
En Arabie saoudite, la dynastie des Saoud remonte au début du XVIIIe siècle, quand en 1744, Mohammed ben Saoud Al Mouqrin fonde le premier État saoudien sur l’oasis de Dariya. En 1902 la dynastie s’agrandit avec Abdel Aziz ben Saoud, qui consolide graduellement son pouvoir en prenant contrôle de La Mecque et Médine.
Le troisième royaume d’Arabie Saoudite voit officiellement le jour en 1932 quand Abdel Aziz ben Saoud se proclame roi. Il affirme son autorité en multipliant les mariages avec des chefs de tribus, donnant naissance à 45 fils.
Pour le lecteur: des critères de succession revus.

Pour comprendre comment la dynastie royale saoudienne s’organise, il faut préciser qu’au sein de nombreuses tribus arabes, lorsqu’un roi décède, c’est à son frère le plus âgé toujours en vie de lui succéder (c’est ce qui a permis à Abdel Aziz ben Saoud d’accéder au pouvoir en 1932, car il était considéré comme prince héritier depuis la mort de son frère, terrassé par la grippe espagnole).
A sa mort en 1953, c’est toutefois son fils cadet, Souad ben Abdelaziz Al Saoud, tel que son père l’avait souhaité, qui est monté sur le trône, au mépris de la règle d’usage. 11 ans plus tard, en 1964, son demi-frère Fayçal est nommé pour le remplacer, suite à la démission forcée de Saoud. La règle de transmission du pouvoir à la fratrie est officiellement rétablie, et 3 autres des fils Abdel Aziz ben Saoud se succéderont, jusqu’à l’actuel roi, Salmane, au pouvoir depuis 2015.
Ce système a finalement été réformé afin d’offrir la possibilité, pour éviter une dérive gérontocratite du pouvoir, que le successeur du roi Salmane puisse appartenir à la génération des petits-enfants d’Abdel Aziz ben Saoud, poussant le roi Salmane à annoncer que Mohammed lui succèdera.
Mohammed ben Salmane
Aujourd’hui, la dynastie des Saoud compte environ 25 000 membres, dont 200 princes qui portent des rôles politiques. À sa tête, Mohammed ben Salmane âgé de 31 ans, est nommé prince héritier, et occupe les postes de ministre de la Défense depuis 2015 et de vice Premier ministre depuis le 17 juin 2017. Benjamin de sa fratrie, sa nomination par son père, le Roi Salmane, fait un effet de surprise, évinçant son neveu Mohammed ben Nayef, ministre de l’intérieur, de la succession. Né en 1985 à Djeddah, MBS est le fils de la troisième épouse de Salmane, qu’il considère comme sa favorite. Contrairement aux princes de sa génération qui partent étudier dans les meilleures universités américaines, MBS ne détient qu’une simple licence de droit de l’Université du Roi-Saoud à Riyad, et parle peu l’anglais. Malgré tout, il est le fils préféré du roi Salmane, ce qui le conduira au pouvoir en Arabie Saoudite.
En 2016, le jeune prince, ambitieux, dévoile sa feuille de route, le projet Vision 2030. Son plan de réforme à pour ambition de rompre la dépendance du royaume avec l’or noir, suite à la chute du prix du pétrole. Mohammed ben Salmane va instaurer un règne contradictoire, entre autoritarisme et réformisme, abrogeant l’interdiction de conduire pour les femmes, autorisant l’ouverture des cinémas et l’organisation de concerts. À contre coup, en moins de 3 ans il réprime toute contestation, déclenche deux crises et provoque une guerre au Proche-Orient.

Un prince réformiste…
À son arrivée aux responsabilités, Mohammed ben Salmane rompt avec l’ordre wahhabite, un mouvement de réforme de l’Islam sunnite qui a pour ambition « un retour aux pratiques en vigueur dans la communauté musulmane du prophète Mahomet et ses premiers successeurs ou califes », une forme de salafisme selon le professeur américain David Commins. Les origines de ce mouvement remontent a 1740 à l’ère du théologien Mohammed ben Abdelwhhab, considéré comme le fondateur du mouvement. En 1745, il fait alliance avec le fondateur de la dynastie saoudienne, Mohammed Ibn Saoud.
Aujourd’hui, les officiels saoudiens cherchent à se détacher du mouvement et de cette image, le wahhabisme étant considéré comme source d’inspiration pour l’idéologie salutiste djihadiste. MBS incarne parfaitement cette rupture avec le wahhabisme, une image qu’il exporte à l’international, cherchant à atteindre les nouvelles générations avec une doctrine évolutive.
Le 27 septembre 2017, quelques mois après sa nomination, et par décret, MBS accorde aux femmes le droit de conduire et raie l’archaïsme le plus emblématique du pays. Selon François-Aïssa Touazi, ancien conseiller au Moyen-Orient, MBS « promet une nouvelle Arabie saoudite. Il a décidé de foncer, il donne l’impression d’être prêt à aller au clash avec les religieux. Même si son plan n’est appliqué qu’à 30 ou 40%, ce sera déjà énorme ».
Dans cet esprit réformiste et moderne, MBS annonce le projet de créer une mégalopole futuriste au nord du désert, baptisée « Neom« . Il mentionne alors une ville moderne avec des espaces verts à perte de vue, énergie propre et robots, mais surtout des femmes non voilées. Il déclare: « Nous n’allons pas passer trente années de plus de notre vie à nous accommoder d’idées extrémistes, nous allons les détruire maintenant».
… à la politique autoritaire :
Depuis l’ascension au trône du Roi Salmane en janvier 2015, l’Arabie Saoudite cumule les initiatives diplomatiques intempestives. En juin 2017, MBS lance un programme de « commission anticorruption » et purge toute la scène politique. Il emprisonne plus de 200 personnalités: princes, ex-ministres, ministres, hommes d’affaires, et parvient à s’octroyer une influence très importante en très peu de temps.
Le 26 mars 2015, MBS continue ses initiatives et lance une intervention militaire sous le nom d’ « opération Tempête décisive » au Yémen, le pays le plus pauvre du Proche-Orient. Cette intervention a pour objectif d’écraser la rébellion des Houthis, organisation armée du nord du Yemen, qui menacent le régime issu du printemps arabe et qui sont soutenus par l’Iran, grand rival et ennemi religieux de l’Arabie Saoudite. Au Yémen sévit alors la plus grande crise humanitaire de la planète selon Caroline Dauber de Handicap international à Sanaa avec: « Plus de 233.000 victimes, dont 80 % de civils, des millions de personnes déplacées, un tiers des écoles et la moitié des centres de soins ne sont plus opérationnels, la dengue, le choléra, la malaria, le chikungunya et le Covid sévissent, sans oublier la pollution par des obus non explosés dont le nettoyage prendra des décennies ».
Autre initiative, l’Arabie Saoudite, alliée avec les Emirates arabes unis, l’Egypte et le Bahreïn, décide de rompre toute relation diplomatique et économique avec le Qatar qu’ils accusent de collusion avec l’Iran. Cette offensive dans la politique étrangère de MBS fut largement facilitée par l’ex-président des Etats-Unis, Donald Trump, allié stratégique avec l’Arabie Saoudite grâce à l’achat de matériel militaire aux USA.
Etre une femme en Arabie Saoudite

Bien que Mohammed Ben Saoud lève en 2017 l’interdiction du droit de conduire pour les femmes, celles-ci sont encore sous l’emprise d’un « gardien masculin »: leur pères, maris ou fils. La liste des interdictions imposées aux femmes saoudiennes est bien longue. Entre les mains de ces « gardiens », elles se trouvent sous l’obligation de demander une autorisation si elles souhaitent renouveler leur passeport, quitter le pays, faire des études, quitter le foyer, gérer la comptabilité.
Pendant longtemps, les Saoudiennes se sont aussi vues interdites d’accès au marché de l’emploi. Aujourd’hui, bien que ces restrictions s’apaisent dû au projet du gouvernement de diversifier l’économie, les Saoudiennes mènent un combat infernal pour leur liberté porté à l’international par des figures féministes tel que Loujain Al-Hathloul. Cette militante féministe de 31 ans à été emprisonnée pendant près de trois ans dans la prison de haute sécurité d’Al-Hayer et jugée coupable en mai 2018 de « tentative de déstabilisation du royaume », après avoir entretenu des contacts avec des ONG et diplomates étrangers. Durant près de trois ans d’emprisonnement, elle subit en détention torture et harcèlement sexuel et dénonce l’ancien conseiller royal Saoud Al-Qahtani de l’avoir menacée de viol et de mort.
En 2020, elle entreprend également une grève de la faim après qu’on lui ai refusé le droit de voir ses proches. Le mercredi 10 février, sa libération est saluée par Joe Biden alors que l’Arabie Saoudite craint un changement de relation avec les États-Unis suite aux élections présidentielles, Joe Biden prônant les droits de l’homme et de la démocratie.
Sources
- Photo de couverture: Belgaimage
- « Arabie Saoudite: « MBS », le prince réformiste tombe le voile« , [en ligne], Le Télégramme (20 octobre 2018)
- Madjid Zerrouky, « La militante féministe Loujain Al-Hathloul condamnée en Arabie Saoudite« , [en ligne], Le Figaro (20 décembre 2019)
- « Arabie Saoudite: pourquoi le roi a-t-il décidé d’autoriser les femmes à conduire ?« , [en ligne], Courrier International (27 septembre 2017)