Louise Weiss: européenne, féministe, pacifiste
Notre rubrique « Leur combat, nos droits » se penche aujourd’hui sur le cas de Louise Weiss. Un portrait signé Anna Harbonn, à qui nous souhaitons la bienvenue dans notre équipe.
par Anna Harbonn
Fervente féministe luttant pour le droit de vote des femmes, journaliste engagée pour une alliance franco-allemande pacifiste et doyenne des députés européens, Louise Weiss a grandement participé à la construction d’une véritable union entre les pays européens. Figure de proue du féminisme de l’entre-deux guerres et européiste convaincue, elle a passé sa vie à promouvoir l’égalité et la paix à travers le journalisme et son engagement politique.
Louise Weiss naît le 25 janvier 1893 à Arras, dans une famille bourgeoise, à une époque où les femmes restent toute leur vie sous la tutelle de leurs pères ou de leurs époux. Son père étant d’ailleurs opposé à l’éducation des filles, elle est envoyée dans une école ménagère pour jeunes filles de bonnes familles. Plus intéressée par l’écriture que la bonne tenue d’un foyer, Louise Weiss propose à ses camarades de rédiger leurs lettres d’amour en échange des tâches ménagères qui lui incombent.
Une journaliste précoce au service de la paix
S’opposant à son père, elle poursuit ainsi ses études et sort diplômée de l’université d’Oxford et agrégée de Lettres à 21 ans. Elle refuse alors le poste d’enseignante qui lui est proposé, préférant se tourner vers le journalisme. En effet, pendant la Première guerre mondiale, elle s’engage dans l’association de sa grand-tante et réceptionne des témoignages clandestins de soldats français prisonniers dans des camps en Allemagne, dans lesquels ils décrivent leurs conditions de détention. Déjà journaliste dans l’âme, elle compile les témoignages dans un dossier qu’elle présente à Joseph Bédier, membre du Collège de France. Ce dernier lui conseille d’écrire elle-même l’article et de le soumettre à l’historien Ernest Lavisse qui dirige La Revue de Paris, ce qu’elle fait. Elle est alors rémunérée 50 francs, qui seront remis à son père. Lorsqu’elle en réclame une partie, son père lui répond qu’une femme n’a pas besoin d’argent.
Louise Weiss décide toutefois de persévérer dans le journalisme, et signe pour Le Radical des articles sous le pseudonyme de Louis Lefranc. Femme de convictions profondément marquée par l’horreur du premier conflit mondial, elle cherche à rapprocher la France et l’Allemagne pour des intérêts communs. Elle fonde en 1918 L’Europe Nouvelle, avec le soutien financier du journaliste Hyacinthe Philouze, et souhaite faire de cet hebdomadaire « une méthode et un nouvel instrument de travail pour une science de la paix ».
En désaccord avec Philouze, elle quitte L’Europe Nouvelle pour collaborer à L’Information et au Petit Parisien. En 1924, elle accompagne Édouard Herriot à Genève, pour une délégation française de la Société des Nations (SDN). Elle y rencontre Aristide Briand, qui vient d’exprimer dans L’Europe Nouvelle son souhait de créer une « compagnie anonyme de la paix ». Elle s’efforce alors de suivre Briand dans ses déplacements, convaincue comme lui que l’arbitrage reste l’unique voie pour assurer une sécurité et éviter un nouveau conflit mondial. Ils sont alors malheureusement inconscients que la plus grande puissance économique mondiale est impuissante sans force armée et sans le soutien des États-Unis. Elle réalise plusieurs reportages à Vienne, Prague, Budapest ou encore Varsovie, avant de réintégrer L’Europe Nouvelle dont Philouze lui laisse les rennes. Elle s’entoure alors de personnalités comme Aristide Briand, Léon Blum, Saint John Perse ou encore Paul Valéry, espérant utiliser ce journal pour diffuser sa volonté de pacifisme.
Face à l’amenuisement des chances de maintenir la paix par le désarmement, et à la situation politique en Allemagne, Louise Weiss fonde en 1930 L’École de la Paix. Placée sous le haut patronage d’Aristide Briand, elle est inaugurée le 3 novembre 1930 et la notoriété de ses conférenciers lui confère un certain succès.
En 1933, l’accession au pouvoir et la politique d’Adolf Hitler inquiètent Louise Weiss, qui se fait un devoir de publier les lois du nouveau chancelier relative à l’aryanisation des écoles et administrations allemandes, à la stérilisation des infirmes et des malades. Dans ses Mémoires d’une Européenne, publiées en 1968, elle ajoutera que « personne, en France, n’y fit alors attention ». L’arrivée d’Hitler au pouvoir signe également l’échec du rapprochement franco-allemand porté par Aristide Briand et Louise Weiss, qui quitte une nouvelle fois L’Europe Nouvelle en 1934 à cause de dissensions au sein de l’équipe de la revue, certains souhaitant encore une coopération avec l’Allemagne.
Une Suffragette à la française

C’est à ce moment que Louise Weiss fonde l’association La Femme Nouvelle, qui s’inspire du mouvement britannique des Suffragettes et se mobilise pour des actions féministes dans l’espace public. Son but : faire du « charivari ». Revendiquant le droit de vote et celui d’être élue, Louise Weiss se présente symboliquement aux élections municipales de Montmartre le 5 mai 1935, et excelle dans l’art de la provocation, transformant des cartons à chapeaux en urnes, et recueillant 18 000 bulletins de vote en sa faveur ! Dans la seule année 1936, les militantes de La Femme Nouvelle lâchent des ballons rouges lestés de tracts au Stade Olympique Yves-du-Manoir, lors de la finale de la Coupe de France de football, bloquent la circulation de la rue Royale à Paris en s’enchaînant les unes aux autres et investissent la piste du champ de course de Longchamp lors du Grand Prix, brandissant des pancartes « La Française doit voter ». Le 2 juin 1936, elles vont jusqu’à offrir aux sénateurs des chaussettes portant l’inscription:
« Même si vous nous donnez le droit de vote, vos chaussettes seront raccommodées ».
L’engagement pacifiste de Louise Weiss la pousse, comme bon nombre de français, à accepter l’armistice de 1940, et elle se voit confier une missions de collecte de médicaments aux États-Unis pour les enfants français par le gouvernement de Vichy. À son retour en France, elle s’aperçoit que son nom figure sur la liste des personnalités juives à éliminer et se fait délivrer un faux certificat de baptême protestant pour que son nom disparaisse de cette liste. Elle n’a cependant jamais occupé de poste au sein du gouvernement de Vichy et s’est même opposée à Pétain, à qui elle a reproché d’avoir tout cédé aux Allemands dès 1940, fidèle à son édito de 1933 dans L’Europe Nouvelle intitulé « On ne pactise pas avec Hitler ». Après avoir signé des articles dans le journal clandestin résistant La Nouvelle République pendant l’occupation sous le nom de Valentine, elle abandonne son pseudonyme à la Libération pour couvrir le procès de Nuremberg.
Un engagement européen récompensé
Dans la lignée de son engagement dans les premiers projets européens auprès de la Société des Nations, Louise Weiss est élue eurodéputée sur la liste DIFE (Défense des intérêts de la France en Europe) en 1979, lors de la première élection au suffrage direct du Parlement européen, et malgré ses combats féministes éloignés de la ligne du parti.

En tant que doyenne des députés européens, elle y prononce, à 86 ans, le discours d’inauguration historique du nouveau Parlement à Strasbourg, le 17 juillet 1979. Fidèle aux valeurs qu’elle a défendu toute sa vie, elle y évoque notamment « une conscience européenne collective ». Un accomplissement et une forme de reconnaissance pour cette européiste de la première heure qui a tant œuvré à la réconciliation entre la France et l’Allemagne au lendemain de la Grande Guerre.
En 1999, 16 ans après sa mort, le nouveau bâtiment du Parlement européen à Strasbourg sera nommé Louise Weiss en son honneur. Un Prix Louise Weiss du journalisme, créé en 2005, récompense chaque année des journalistes francophones écrivant sur des sujets européens.