Toussaint Louverture: porte-parole de la cause noire et précurseur des mouvements émancipateurs d’Amérique Latine
Leur combats, nos droits, notre sélection de portraits de personnages historiques s’étant battus pour acquérir les droits dont nous profitons de nos jours, se penche cette fois sur le cas de Toussaint Louverture.
par Anna Harbonn
Souvent méconnu en France, Toussaint Louverture est pourtant le premier des grands libérateurs noirs de l’histoire des colonies. Ancien esclave affranchi, influencé par les Lumières et la Révolution française, il a inspiré les mouvements indépendantistes d’Amérique latine, le militantisme noir et le mouvement abolitionniste américain, jusqu’à la lutte pour les fameux « Droits Civiques« .
D’esclave à militaire autodidacte insurgé
Toussaint de Bréda, dit Toussaint Louverture, nait esclave en 1743 en Haïti, qui est alors une colonie française. Toussaint occupe le poste de cocher, une faveur réservée uniquement aux créoles. Il est le protégé du gérant de la plantation, Bayon de Libertat, qui lui a accordé une liberté de savane ; Toussaint bénéficie alors d’une liberté de mouvement sans pour autant être affranchi.
Affranchi en 1776, à l’âge de 33 ans, Toussaint épouse une jeune femme noire et libre, et s’installe dans une plantation de café de 13 hectares, comprenant une vingtaine d’esclaves. Ce n’est d’ailleurs qu’une fois affranchi qu’il prend le patronyme « Bréda », du nom de la maison dont il a été esclave. Toussaint de Bréda fait ainsi partie des esclaves noirs bénéficiant d’une certaine ascension sociale, et dont la Révolution Française menace en partie sa situation.
La Révolution Française provoque un soulèvement chez les esclaves noirs, bientôt rejoints malgré tout par des hommes noirs affranchis, dont Toussaint de Bréda. Il occupe chez les insurgés la fonction de médecin, et se rend rapidement indispensable comme conseiller en stratégie auprès du chef Georges Biassou, qu’il juge plus malléable que Jean-François, le chef suprême. Sa stratégie permet d’organiser une garde disciplinée à l’européenne, qui tranche avec la désorganisation des insurgés.
Une ascension militaire et politique sur fond d’abolition de l’esclavage et de Révolution française
Au printemps 1793, les Espagnols, qui occupent une partie de l’île (aujourd’hui Saint-Domingue), sont en guerre avec la France. Ils offrent aux insurgés un sanctuaire, ainsi que la liberté à tous ceux qui combattraient pour eux. Toussaint de Bréda rejoint les Espagnols à la tête de son armée de près de 4000 hommes, et est vite remarqué pour ses talents militaires. Il ne tarde pas à être promu lieutenant-général. C’est ainsi qu’il prend le nom de Louverture, qui fait référence à son habileté à ouvrir des brèches dans les rangs ennemis.
Toussaint Louverture s’émancipe rapidement de la tutelle des espagnols ainsi que de celle des deux chefs des insurgés, en entretenant des relations avec le camp français. Il échappe en effet de peu à un attentat dont la responsabilité est attribuée à Jean-François. De plus, alors que le décret d’abolition de l’esclavage est voté en France le 4 février 1794, Toussaint remarque que les Espagnols ne sont pas du tout prêts à libérer les esclaves comme ils l’avaient promis. Il décide donc de rallier le camp républicain le 18 mai 1794. Sa défection marque son engagement en faveur de l’abolition de l’esclavage, et affaiblit le camp espagnol, qui capitule l’année suivante. Le camp républicain reprend alors possession de la partie espagnole de l’île.
Particulièrement apprécié du gouverneur Lavaux, Toussaint finit par faire de l’ombre au général Villatte. En 1796, ce dernier tente alors un coup d’état contre le gouverneur Lavaux. Toussaint Louverture intervient, et déjoue le coup d’état. En récompense de sa loyauté, il est promu général, et nommé lieutenant-gouverneur de Saint-Domingue. Il occupe alors le second rang, juste derrière le gouverneur Lavaux.

En moins de dix ans, Toussaint Louverture, esclave affranchi et chef militaire autodidacte, respecté des noirs et des blancs, a réussi à se hisser politiquement à la tête de Saint-Domingue.
Figure de proue de l’émancipation haïtienne
L’autorité et l’accession au pouvoir politique de Toussaint Louverture permettent également l’initiation d’une vieille revendication coloniale : l’autonomie de Saint-Domingue. En effet, suite au coup d’état de Napoléon Bonaparte en 1799, les colonies ont été placées sous un régime d’exception. Toussaint Louverture entreprend alors de rédiger une nouvelle Constitution, celle du 8 juillet 1801. Inspirée de la Constitution de l’an VIII de par la prééminence de l’exécutif et du militaire, elle est néanmoins autonomiste et autocratique. C’est par cette constitution qu’il se nomme lui-même gouverneur à vie, se réservant la possibilité de choisir lui-même son successeur, et consacre le catholicisme comme religion d’Etat. L’esclavage est bien supprimé, et la constitution reconnaît en théorie la liberté générale. Elle prévoit tout de même néanmoins la possibilité du recours au travail obligatoire, et la traite humaine pour un recours à une main d’œuvre africaine continue.
La repossession de la partie espagnole de l’île par Toussaint Louverture constituait déjà un affront pour Napoléon Bonaparte qui œuvrait alors pour une réconciliation franco-espagnole. Cette nouvelle constitution le met dans une colère noire, et Toussaint Louverture devient alors dangereux pour le Premier Consul de France, qui décide d’envoyer un corps expéditionnaire pour mettre un terme à l’émancipation domingoise.
Ce dernier quitte la France en décembre 1801 sous le commandement du général Leclerc. L’expédition compte 17 000 hommes, dont des officiers issus des colonies et des officiers noirs défaits par Toussaint, et est renforcée par 6 000 hommes entre mars et mai 1802. Toussaint Louverture dispose quant-à-lui de près de 30 000 hommes. A l’annonce du rétablissement de l’esclavage le 20 mai 1802, les combattants de l’île redoublent d’effort et durcissent le combat, mais malgré sa supériorité numérique, l’armée de Toussaint Louverture est rapidement défaite. Ce dernier est arrêté alors qu’il était invité à négocier une armistice. Il est assigné à résidence.
La Révolution domingoise est alors momentanément à l’arrêt. Trop progressiste pour Napoléon, et trop réactionnaire pour les cultivateurs locaux, le régime de Toussaint Louverture ne semble convenir à personne, à l’exception de la nouvelle élite militaire noire, bénéficiaire de ce nouvel ordre. C’est donc dans une certaine indifférence que Toussaint Louverture est déporté en France à bord de la Créole, une frégate qui relie le cap Haïtien à Brest. Sans aucun procès, on le laisse croupir en prison dans le Jura, où il sera humilié. Toussaint Louverture meurt le 7 avril 1803 d’apoplexie, après un rude hiver, dans le dénuement le plus total.
L’œuvre de Toussaint Louverture trouvera son aboutissement le 1er janvier 1804, lors de la proclamation de l’indépendance de la République haïtienne par son ancien lieutenant Jean-Jacques Dessaline. Toussaint Louverture deviendra alors un héros national.
Sources
- Image de couverture: « Toussaint Louverture, le premier des noirs« , [en ligne], Roots