Les éternels ont-ils besoin d’un cours de compta ?
Une nouvelle enquête du Supplément Enragé consacrée au rapport de la Cour des comptes sur la gestion financière de l’Institut de France et ses dysfonctionnements.
par Maxime Nubin
Le 15 juillet dernier, la Cour des comptes, institution chargée de contrôler la régularité des comptes publics, rendait son rapport sur l’Institut de France et des cinq académies, cette autre institution multiséculaire française. A en croire les conclusions du rapport, les 226 ans de vie de l’Institut de France ne leur auront pas servis de leçon. La Cour des Comptes pointe des dysfonctionnements profonds sur la plupart des champs possibles, et ce pour la seconde fois depuis 2015.
L’institut de France ?
L’institut de France est créé en 1795 en pleine Révolution française, enclenchée en 1789. Surnommé « le Parlement du monde savant », il est le fruit d’un double héritage : celui de la monarchie qui avait créée les académies royales, et celui des révolutionnaires, désireux de renforcer la place des sciences. Depuis lors, l’institut de France regroupe cinq académies : l’Académie française, l’Académie des inscriptions et des belles-lettres, l’Académie des sciences, l’Académie des beaux-arts et l’Académie des sciences morales et politiques. Regroupées quai de Conti dans le cossu 6e arrondissement de Paris.
« La loi protège les sciences, les sciences protègeront la liberté »
l’Abbé Grégoire (extrait du rôle conféré à l’Institut de France en 1795)

Les académiciens, souvent appelés les éternels, qui atteignent presque le nombre de 500, ont pour but de réunir l’élite intellectuelle française, autour des sciences, des arts et des savoirs. Aujourd’hui, l’institut de France doit relever le défi d’un public demandeur de formes moins traditionnelles et descendantes de transmission du savoir.
Négligence et absence de stratégie
Au vue de la gravité (ra)contée par la Cour des Comptes, la création d’une Académie de la gestion patrimoniale et de la comptabilité serait utile. Pour le comprendre, il suffit de voir rien que le sommaire de la synthèse du rapport. Divisée en 17 pages et 5 parties, la synthèse est structurée comme suit : une gouvernance éclatée ; une gestion insuffisamment professionnalisée ; un patrimoine artistique et culturel exceptionnel, en partie laissé à l’abandon ; une situation financière déséquilibrée. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la couleur est annoncée.
La gouvernance « apparait à la fois confuse et datée. La gouvernance de cet ensemble se caractérise en effet par une multiplicité d’acteurs et d’instances, aux fonctions parfois mal définies, avec un empilement de strates apparues au fil du temps dans le processus décisionnel », démarre en trombe la synthèse du rapport, page 5.
Concernant le patrimoine culturel, la Cour des Comptes recense un regroupement, principalement dans 18 sites ouverts au public ou représentant un intérêt patrimonial. Pour autant, une partie de ce patrimoine est « laissée à l’abandon » photo à l’appui. Elle encourage même à ce que des procédures soient enclenchées par le ministère de la Culture pour que les interventions nécessaires soient mises en places.

Un patrimoine culturel doublé d’un patrimoine immobilier à la gestion toute aussi négligente. La Cour des Comptes, page 47 de son rapport, pointe l’absence de stratégie immobilière. Elle prend l’exemple de l’acquisition d’un immeuble au 17, quai de Conti, proche du siège. Acquis pour 16 millions d’euros, la Cour des Comptes questionne l’intérêt de cet immeuble particulièrement compte tenu des travaux obligatoires à réaliser pour le rendre viable. Des travaux « dont le coût total demeure encore inconnu », bien-sûr aux frais de l’Institut de France.
Enfin, la Cour des Comptes décrit la tenue d’une trésorerie « profondément déficiente » avec un appel très clair à ce que le niveau d’expertise en interne soit renforcé. En d’autres termes, l’institut de France doit embaucher des professionnels. Avec un portefeuille financier qui s’élève à près de 2.5 milliards d’euros, l’institut de France pourrait bien se munir d’une véritable armada d’experts, d’autant qu’il s’agit d’une des plus prestigieuses institutions françaises et qu’elle gère un patrimoine culturel et immatériel inestimable. Une tenue des comptes négligente qui se caractérise par une mauvaise gestion des donations et des legs, avec des fondations anciennes en « déshérence », etc…
Le rapport de 2015 et les « avantages en nature »
En 2015, la Cour des Comptes assénait sa première critique à l’égard de l’institut de France, notamment sur le déploiement de logements de fonctions mis à disposition de ses membres. Des appartements merveilleusement localisés dans la capitale, aux prestations presque uniques (six ou sept pièces). Le Canard Enchainé (21/07) évoque notamment l’Académicienne qui occupe le fauteuil 14 de l’Académie française : madame Hélène Carrère d’Encausse. Elue secrétaire perpétuelle de l’Académie française en 1999, elle occupe gracieusement un appartement situé dans le 6e arrondissement parisien. Un appartement soumis à aucune rétribution financière, déclarée par cette dernière comme « avantage en nature ». Le Canard Enchainé, dans le même numéro, évoque aussi un ancien chef de cabinet de l’Académie française qui bénéficie de 5 logements gratuits. Il est à noter que le patrimoine immobilier locatif dont est propriétaire l’Institut de France s’élève à 40 000m2 au 31 décembre 2018.
Dans son rapport de juillet 2021, la Cour de Compte évoque quelques améliorations. Elle rappelle néanmoins que la plupart des loyers imposés aux locataires restent inférieurs au loyer de référence, dans le cadre du plafonnement des loyers en vigueur à Paris. Une proportion inférieure qui atteint même les 60% pour l’Académie des beaux-arts.
De hautes institutions… pas exemplaires
L’institut de France n’est pas la seule haute institution à être sermonnée par la Cour des Comptes. En 2018 par exemple, l’Ecole Nationale d’Administration (ENA) était déclarée en déficit. Cette institution, destinée à former les hauts fonctionnaires de demain – mais très sérieusement remise en question par Emmanuel Macron – n’a pas été capable d’établir une stratégie économique durable, avec un déficit qui atteint 2.8 millions d’euros en 2018. Malgré une remise en forme progressive, les comptes de l’ENA n’ont pas été assainis.
Sources
- Photo de couverture: Pixabay
- Le rapport de la Cour des Comptes
- La synthèse du rapport de la Cour des Comptes
- Le Canard Enchaîné, numéro 5264 (21 juillet 2021)