Les Enquêtes du Sup – Droits humains: quand la Pologne les met à l’épreuve

Quand la Pologne met à l’épreuve les droits humains

Une nouvelle enquête du Supplément Enragé consacrée à la nomination du nouveau Défenseur des droits humains en Pologne, dans un contexte politique particulièrement conservateur.

par Alizée Studzinski

Alors que le parti Droit et justice conservateur à la tête de la Pologne depuis 2015 cherchait à mettre au poste stratégique de défenseur des droits civiques quelqu’un de complaisant à sa ligne de conduite politique, le nouveau nommé n’est autre que Marcin Wiacek, ancien avocat des cours constitutionnelle et administrative polonaises, qui entend bien veiller à la protection des droits humains dans le pays.

Le nouveau médiateur et défenseur des droits polonais, récemment nommé après plusieurs mois de blocage, devient, tout comme son prédécesseur Adam Bodnar, un rempart institutionnel contre les atteintes aux droits humains et au pouvoir conservateur à la tête de l’Etat depuis 2015.

Un contre-pouvoir institutionnel convoité par le gouvernement

Le 12 juillet 2020, le président Andrzej Duda est réélu pour un deuxième mandat à 51,21% des suffrages. Le parti conservateur Droit et justice (PIS) porté par le président et majoritaire au Parlement garde donc les pleins pouvoirs. Le parti conservateur domine largement les institutions polonaises et détient la plupart des postes stratégiques.

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Adam Bodnar, ancien défenseur des droits des polonais (Source: Kapcer Pempel / Reuters via Le Monde)

Un poste reste véritablement rempart au pouvoir, à savoir celui de défenseur des droits civiques, malgré la volonté pour le gouvernement d’y placer quelqu’un en adéquation avec sa conduite politique. Ce fut d’ailleurs loin d’être le cas avec l’ancien défenseur des droits civiques, Adam Bodnar qui incarnait un contre-pouvoir institutionnel indépendant face au régime politique conservateur qu’il estimait dangereux pour la démocratie en Pologne avec « une régression des droits civiques et politiques ». C’est un juriste polonais, professeur de droit spécialisé dans la question des droits de l’homme. Il a également été Vice-président de la Fondation Helsinki pour les droits de l’homme de 2010 à 2015 avant de prendre le poste de défenseur des droits civiques. Durant son mandat, le défenseur des droits alerte sur la situation précaire des droits humains en Pologne et en a même fait part aux institutions européennes qui se sont emparées du cas polonais.

Son mandat de cinq ans a pris fin en septembre 2020. Mais les institutions polonaises n’étant pas tombées d’accord sur le nom du successeur au poste, Adam Bodnar continuait d’assurer l’intérim. Le 15 avril dernier, le Tribunal constitutionnel, sous contrôle du PIS, lui somme de quitter son poste dans les trois mois au motif que la loi lui permettant de rester à ce poste était inconstitutionnelle.

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Marcin Wiacek, défenseur des droits civiques polonais (Source: WPIA)

Mais c’est finalement le mercredi 23 juillet, après six échecs et au grand étonnement de tous, que le Sénat a approuvé par consensus avec 97 voix sur 100 la nomination du nouveau défenseur des droits civiques, monsieur Marcin Wiacek. Ce dernier est un ancien avocat des cours constitutionnelle et administrative polonaises, a tout de suite pris position. Il a notamment déclaré sa volonté de « soutenir la primauté de notre constitution sur tous les accords internationaux. ». Ainsi, Marcin Wiacek a choisi le camp du gouvernement polonais face à l’Union européenne. Prise de position qui permet au gouvernement polonais de ne pas se positionner en totale opposition au nouveau défenseur des droits, alors même que sa nomination ne plaisait pas forcément au PIS. Pour autant, il somme l’Etat polonais de respecter la décision rendue par la CJUE qui dénonce le nouveau système disciplinaire imposé aux magistrats par le PiS.

Ce poste stratégique permet de mettre en exergue les atteintes aux droits humains dans le pays, qui, selon plusieurs ONG et le dernier défenseur des droits, se sont multipliées depuis l’accession au pouvoir du parti ultra-conservateur PIS.

Une dégradation des droits humains caractérisée

Plusieurs problématiques sont à noter en Pologne. Dans un premier temps, le problème de l’indépendance du pouvoir judiciaire menaçant alors l’Etat de droit en Pologne. Selon Amnesty International, l’appareil judiciaire polonais serait mis à mal par les pouvoirs exécutif et législatif. Dès l’arrivée d’Andrzej Duda au pouvoir en août 2015, il a souhaité « museler » l’appareil judiciaire. A ce titre, le gouvernement polonais a initié un régime disciplinaire à l’encontre des juges. Et le Parlement a, à cet effet, adopté une loi en janvier 2020 visant à restreindre les libertés d’expression et d’association des juges polonais. S’ajoute à cela l’impossibilité de remettre en question les magistrats expressément nommés par le gouvernement.

Le sort réservé à l’instance judiciaire est connu par la communauté internationale. Et les plus hautes juridictions européennes, à savoir la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sont régulièrement sollicitées pour faire la lumière contre des abus de l’Etat polonais envers son pouvoir judiciaire.

En avril 2020, la CJUE a d’ailleurs rendu une ordonnance de mesures provisoires, exigeant du gouvernement polonais qu’il suspende immédiatement son nouveau régime disciplinaire applicable aux juges. Les autorités polonaises l’ont refusé au motif, comme le suggère le vice-ministre de la Justice, que la CJUE avait porté atteinte à la souveraineté de la Pologne en s’ingérant dans ses affaires intérieures.

L’indépendance de la justice est une vraie problématique dans le pays. Depuis 2015 et la prise de pouvoir d’Andrzej Duda, le parti de ce dernier est majoritaire pour la prise de décision. C’est ainsi qu’en 2015 et 2017, des réformes et directives politiques ont été mises en œuvre par le gouvernement polonais afin de limiter au maximum l’indépendance de l’autorité judiciaire. C’est ainsi que la réforme de 2017 concernant les juridictions de droit commun énonçait la possibilité pour le président de procéder à la nomination des juges des plus hautes instances judiciaires, ainsi que de laisser au ministre de la Justice le pouvoir exclusif de limoger et de nommer les présidents et les vice-présidents des tribunaux et de refuser ou accepter de prolonger le mandat d’un juge, condamnant alors ce dernier à se plier à la volonté de l’exécutif s’il veut continuer d’exercer. C’est ainsi toute l’impartialité et l’indépendance du pouvoir judiciaire qui sont remises en cause.

Mais cette « muselière » ne concerne pas uniquement le pouvoir judiciaire mais l’ensemble de la population. En effet, les contestataires du régime peuvent avoir une amende, et/ou se faire arrêter. A titre d’exemple, lors de la dernière campagne électorale en mai 2020, des manifestants pacifiques ont été arrêtés par la police. S’ajoute à cela l’octroi de lourdes amendes, tout particulièrement aux personnes qui exigeaient le respect de l’indépendance du pouvoir judiciaire ou qui dénonçaient le manque de soutien accordé aux petites entreprises pendant le confinement décrété face à la pandémie.

Les libertés d’expression et d’association sont également remises en question en Pologne. Amnesty International a, à cet effet, recensé plusieurs cas d’abus de la part de l’Etat polonais. Par exemple, Elżbieta Podleśna, défenseuse des droits humains, a été inculpée pour « offense à des croyances religieuses » car elle détenait et distribuait des affiches et autocollants représentant la Vierge Marie avec une auréole aux couleurs de l’arc-en-ciel.

Enfin, le gouvernement polonais et le parti PIS affirment leurs divergences à l’encontre de plusieurs enjeux sociétaux, à savoir le cas de la communauté LGBTI ou la question de l’avortement. En effet, avant même son élection au poste de président, Andrzej Duda a signé un manifeste dans lequel il s’engageait à interdire l’égalité devant le mariage, l’adoption par des personnes LGBTI et l’éducation aux droits de ces personnes dans les établissements scolaires. Ajoutons à cela de nombreuses arrestations de militants en faveur de la cause LGBTI. Selon un rapport de l’Agence des droits fondamentaux de l’UE, 15 % des personnes LGBTI vivant en Pologne auraient été victimes d’agressions physiques ou de violences sexuelles au cours des cinq dernières années (plus important pourcentage dans l’UE), dont la plupart n’ont pas donné lieu à des poursuites.

Les organisations féministes et militantes polonaises, elles, militent massivement dans les rues en faveur de l’autorisation à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), un non-droit dans ce pays tenu par les ultra-conservateurs acté par le Tribunal constitutionnel le 22 octobre 2020,

La mainmise du PIS sur le pays

Malgré de nombreuses contestations populaires, l’intervention de l’Union européenne, et le rempart institutionnel que constitue le poste de médiateur et défenseur des droits civiques, le parti conservateur PIS domine le paysage politique et l’idéologie institutionnelle du pays. Malgré des atteintes aux droits humains caractérisées, le gouvernement polonais ne fléchit pas dans ses prises de positions affirmées. La question reste à savoir si le récemment nommé Macin Wiacek parviendra à agir en véritable contre-pouvoir en faveur de la protection des droits humains.

Sources

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