L’édito du 16 août – Canada: Le coup de poker de Trudeau

L’édito – Canada: Le coup de poker de Trudeau

Dissolution du Parlement : vers le scénario « Chirac 1997 » pour Justin Trudeau ?

L’édito du Supplément Enragé du 16 août 2021 consacré à la décision du Premier Ministre canadien Justin Trudeau de dissoudre le Parlement et provoquer de nouvelles élections fédérales.

par Live A. Jéjé

Justin Trudeau, premier ministre du Canada depuis 2015, a pris de court sa population en décidant, après avoir obtenu l’accord de la gouverneure générale, de dissoudre le Parlement canadien, deux ans avant l’échéance électorale initialement prévue en 2023. Le peuple ira donc se prononcer le 20 septembre prochain afin de réaffirmer sa confiance, ou non, en son gouvernement.

Un régime politique parlementaire

Le Canada, bien que le titre de « chef d’Etat » incombe toujours au monarque anglais, à savoir la reine Elizabeth II, repose sur un régime parlementaire. « The Queen » n’a, hors circonstances exceptionnelles, comme prérogative principale que de nommer le gouverneur général de la couronne – actuellement Mary Simon – sur proposition du Premier Ministre.

Trudeau dissolution 18 aout fonctionnement constitutionnel canadien
Fonctionnement constitutionnel canadien (Source: Immigrant Quédec)

Le pouvoir exécutif est, comme dans la majorité des nations, la compétence du Premier Ministre et de son gouvernement. Cependant, tels tous les régimes parlementaires, la plupart des décisions sont en réalité presqu’exclusivement aux mains du Parlement (composé au Canada d’un Sénat et d’une Chambre des communes) puisque contrairement à la France, le chef de l’exécutif (au Canada le Premier Ministre) n’est pas nommé directeur par le peuple, mais en fonction de la composition de ce dernier selon les résultats des élections fédérales qui ont lieu tous les 4 ans. Le Premier Ministre, est à son tour désigné par le gouverneur général (qui nomme également les 105 sénateurs sur proposition du Premier Ministre, de la même façon que celui-ci propose à la reine le nom d’un ou d’une gouverneure), la plupart du temps le chef du parti arrivé en tête à l’issue du scrutin. Il forme par la suite son gouvernement. Tous ses projets de loi sont envoyés par le « Cabinet » au Parlement.

Avec ce système électoral, en dissolvant le Parlement, le Premier Ministre actuel remet donc son mandat en jeu pour la deuxième fois depuis sa nomination il y a six ans.

Une dissolution motivée par un « contexte de crise »

Si Justin Trudeau, s’est révélé depuis son accession au titre du chef du gouvernement, au terme de dix années de pouvoir conservateur, un interlocuteur actif sur le plan international, ratifiant l’accord sur le climat de la Cop21 à Paris, et le traité de libre-échange nord-américain avec les Etats-Unis et le Mexique, sa politique intérieure, libérale, n’a guère fait l’unanimité pour ses compatriotes. Ses réformes sociales comme sociétales (dont la plus médiatisée en France fut celle de la légalisation du cannabis) n’ont souvent pu être menées à terme. Ainsi, sa promesse de retour à l’équilibre budgétaire pour l’année 2019 est tombée à l’eau, le coût de la dépense publique ayant considérablement augmenté afin de mener sa politique de reconstruction et de rénovation des logements et infrastructures.

De quoi décevoir de façon suffisante pour que le Parti Libéral n’échappe à un désaveu d’une partie conséquente de l’électorat aux élections de 2019, où il a frisé la correctionnelle. Trudeau a réussi à se maintenir au pouvoir, mais son gouvernement se retrouve depuis lors dans une situation d’étricage au Parlement, ne disposant pas d’une majorité assez large pour s’assurer de son soutien, et donc de la continuité des légiférations inhérentes à son programme.

Dans son malheur, le chef du gouvernement canadien, et ce malgré avoir dû affronter les milliers de morts qu’elle a provoqué, a pu compter sur la pandémie de Covid19 afin de trouver une solution, risquée mais jouable, salutaire à cet immobilisme constitutionnel. C’est, alors que le virus persiste à se propager cependant qu’un an et demi après son apparition, les nations sont maintenant mieux préparées à endiguer ses nouvelles formes et ses vagues de contamination, par cette « crise » que Trudeau justifie sa volonté de dissoudre.

Un pari au résultat incertain

Il ne fait pas point de doute que cette justification est un acte d’enfumage complet. Trudeau n’a qu’une volonté, et c’est bien normal de son point de vue : profiter de sa gestion de la crise sanitaire pour reconquérir une majorité de sièges à la Chambre.

Mais ce stratagème, typique des manœuvres politiques à l’odeur de naphtaline dont les peuples ne peuvent plus respirer les relents tant leurs représentants en ont usé à des fins électoralistes, parce qu’il ne trompe plus aucun citoyen, pourrait être la planche sur laquelle se scie celui qui l’a initié. Si le Parti Libéral perd l’élection, Justin Trudeau quittera la direction politique du Canada. S’il gagne mais ne parvient pas à remporter plus de sièges qu’en 2019, ou s’il en perd encore tout en parvenant à garder la majorité, sa situation de faiblesse, davantage renforcée, pourrait pousser ses compères, et la gouverneure général, à demander qu’il cède son poste. Un scénario qui n’est pas sans rappeler d’autres exemples.

Au Royaume-Uni, Edward Heath a tenté dans les années 70, pour se remettre en selle, de parier sur des élections anticipées dont il est sorti perdant. D’une façon similaire, le Général de Gaulle avait démissionné en 1969 suite au refus des français de sa proposition soumise au référendum concernant la régionalisation, conformément à la parole qu’il avait toujours donné, considérant logique pour un chef d’Etat de quitter l’Elysée si le peuple désavoue l’un des grands projets nationaux.

Ces vingt dernières années, c’est surtout l’exemple français du président Chirac ; bien que contrairement à son ancêtre gaulliste, il n’a pas considéré devoir démissionner de ses fonctions après le rejet des citoyens du référendum sur la Constitution Européenne en 2005 ; qui trouve la meilleure résonnance avec le pari engagé par Trudeau.

Allocution officielle du président Jacques Chirac annonçant la dissolution de l’Assemblée Nationale en 1997 (Source: INA / Youtube)

En 1997, deux ans après son installation Faubourg Saint-Honoré, son gouvernement, dirigé par Alain Juppé, Premier Ministre impopulaire, était totalement immobile, ameutant des mouvements de rue à chaque projet de légifération, Dominique de Villepin, entre autres proches conseillers du président, lui conseillèrent alors de dissoudre l’Assemblée Nationale, à un an des échéances législatives, afin de regagner la confiance des français. Une éventualité qui finit par séduire Chirac, d’autant plus que cette nouvelle législature prendrait fin la même année que l’élection présidentielle de 2002. Convaincu, il annonça la dissolution et engagea une campagne électorale qui plaçait le RPR (futur UMP, futur LR) favori puis qui a vu sa déconfiture, et entamé une troisième période de cohabitation, la plus longue qu’a connu la Ve République, durant cinq ans.

D’un autre côté, les crises politiques, diplomatiques ou sanitaires telles que celle que le monde traverse actuellement peuvent réaffirmer l’autorité et la légitimité d’un dirigeant. Angela Merkel et Emmanuel Macron ont bénéficié, à en croire les sondages d’opinion, des regains en pourcentage à l’habituelle question, dont les résultats sont exprimés par un système de « cote« , quant à la confiance qu’éprouvent leurs concitoyens envers eux durant le premier confinement prononcé en mars 2020.

Quelle que soit l’issue de l’élection anticipée, Justin Trudeau aura pris son destin en main. Rendez-vous le 20 septembre pour savoir s’il a fait le bon choix.

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