Le Debrief – TPMP: Twitter a-t-il eu raison de censurer Jean Messiha ?
Le Debrief du Supplément Enragé revient sur le débat qui a opposé une partie de l’équipe de Touche pas à mon poste, sur C8, à Jean Messiha, suite à la suppression du compte Twitter de ce dernier.
par Live A. Jéjé
Comme chaque année, l’accès-prime-time de C8 a début sa nouvelle saison sur les chapeaux de roue. Après avoir reçu pour sa première plusieurs champions olympiques et interviewé en duplex du Gabon le clivant – tenu au firmament de la médecine par certains, dénigré pour son « melon » et sa « condescendance » par d’autres – professeur Didier Raoult, dont c’était le premier entretien dans le cadre d’un talk-show depuis le début de la crise sanitaire, durant lequel certaines paroles prononcées par celui qui a été poursuivi pour « charlatanisme » par son choix de traiter ses patients atteints du coronavirus par l’hydro-chloroquine, et que les institutions tentent aujourd’hui de pousser vers la retraite, alors qu’il pensait parler en « off », concernant les « dingues » que sa femme psychiatre soigneraient ont fait bondir un bon nombre de spectateurs, c’est mardi soir que Jean Messiha, polémiste intervenant régulièrement dans l’émission, a fait face aux chroniqueurs pour débattre de la décision de Twitter de supprimer son compte officiel.
Un inconnu du grand public il y a encore 2 ans
Jean Messiha, ancien coordinateur du programme de Marine Le Pen lors de l’élection présidentielle de 2017, candidat malheureux aux législatives qui les avaient suivis, a décidé de quitter le Rassemblement National il y a quelques mois pour fonder l’Institut Apollon. Devenu une figure médiatique de premier plan, écumant les plateaux de télévision, provoquant buzz sur buzz pour ses propos explicites sur l’Islam et sa défense acharnée de l’ancien modèle français en matière d’immigration, « l’assimilationnisme », dont il souhaiterait une nouvelle application – et des plus strictes – consistant notamment à ce que chaque immigré abandonne son prénom de naissance à son arrivée en France pour en préférer un parmi les saints du calendrier, tel qu’il a lui-même entrepris la démarche après sa migration en France depuis l’Egypte, son pays natal, c’est en troquant la casquette du politique pour celle d’éditorialiste flingueur du paf que celui qui était inconnu du grand public il y a encore 2 ans a accédé à la notoriété.
Un bretteur populiste et populaire
Qu’importe l’appréciation que chacun est libre de porter aux thèses qu’il défend avec une ardeur parfois déconcertante, Messiha ne manque pas de courage (de « bêtise » diraient ses détracteurs) et ne s’est jusqu’à présent jamais dérobé devant personne, offrant aux téléspectateurs des moments de télévision houleux.
Ce qui explique sa popularité, au-delà du simple socle d’irréductibles réactionnaires qui constitue l’électorat de base de l’extrême-droite, auquel s’est aggloméré, par le biais de programmes populistes flirtant sur le constat du sentiment d’abandon dont se plaignent de nombreux français, des millions de votants, qui n’ont rien d’extrémistes, qui se raccrochent, déçus par la droite, déçus de la gauche, aux deux bouées « d’espoir » que représentent l’extrême-droite et l’extrême-gauche (qui se rejoignent sur de nombreux pans) aux deux angles du spectre politique.
En témoignent, puisque c’est sur ce terrain qu’il se retrouve aujourd’hui censuré, les mêmes millions de retweets et de messages de soutien d’internautes friands de ses passes d’armes, twittesques, à répétition, qui l’opposent à ses confrères médiatiques sur le réseau social.
Une mesure conséquente d’une première suspension
Il vient d’être débauché de celui-ci – après une première suspension temporaire – ce qui n’a pas manqué d’attirer les foudres, de ses supporters en premier lieu, mais de manière plus générale de maints citoyens attachés à la liberté d’expression. En prenant cette décision, le géant des GAFA pose une véritable question philosophique : une organisation, même privée, dont l’utilisation entretient les débats de société, peut-elle décider de supprimer le compte d’une personnalité publique alimentant ces débats de considérations qui sont, à tort ou à raison, celles de beaucoup de français qu’aucune condamnation judiciaire relative à son activité sur ce site web n’a été prononcée ? In extenso, n’est-ce pas ici, comme l’a soupçonné Géraldine Maillet sur C8 lors du débat, une façon pour Twitter de se payer sa « bonne réputation » en ciblant une personnalité en plein essor médiatique quand elle ne le fait pas pour d’autres figures artistiques, journalistiques ou politiques, condamnées à une ou plusieurs reprises, et qui jouissent toujours du droit de s’y exprimer librement, comme Jean-Marie Le Pen, Eric Zemmour à droite ou Jean-Luc Mélenchon à gauche, ou par le biais plus ou moins subtil, comme le fait Dieudonné, de tweets de liens de redirection vers des site, articles ou vidéos sur lesquels il a tenu des discours lui ayant mené auxdites condamnations ou au contenu répétitif de ceux-ci ?
Plusieurs comptes Twitter pour Jean Messiha ?
Avant de donner la parole aux autres invités présents sur son plateau, Cyril Hanouna a demandé à Messiha de clarifier un premier point ayant en partie servi à la firme à l’oiseau bleu à justifier l’éviction de l’intéressé : l’accusation d’existence de plusieurs comptes en sa possession, ce qu’il a farouchement nié, répondant qu’il existe plusieurs comptes qui se font passer pour lui, ou qui sont des groupes de soutien à ses prises de positions, tel qu’il en existe beaucoup pour des dizaines d’hommes et de femmes politiques et d’artistes, mais qu’aucun n’avait ni été créé ni géré par lui. Une explication dont on ne peut prouver la bonne foi, mais qui semble probable compte tenu de la manière frontale avec laquelle il revendique ses opinions – y compris les plus grotesques – et qui ont fait sa marque de fabrique. Une hypothèse renforcée par ; après vérification ; la possibilité pour quiconque de créer un profil en se faisant passer pour n’importe qui, y compris des célébrités, soit-ce dans l’objectif de leur nuire, de leur rendre hommage par le biais de comptes communiquant sur leurs actualités ou purement parodiques.
La célébration de Louis Boyard
Louis Boyard, nouvelle recrue du programme, qui a construit sa notoriété autour de la dénonciation du recul des valeurs sociales et solidaires dont il estime que l’Hexagone et ses territoires d’outre-mer pâtit, non sans verser à un rythme plus ou moins régulier dans la démagogie, défendant la veuve et l’orphelin, oserait-on dire, « quoi qu’il en coûte », a affirmé sa réjouissance du débarquement de Jean Messiha de Twitter, au nom du contenu de ses tweets, qu’il trouve irrespectueux et blessant envers les musulmans. « J’ai fait la fête » a-t-il assuré, provoquant les rires de public.
Une drôle de conception de la démocratie pour un jeune homme qui n’a de cesse, avec un talent oratoire indéniable, de déplorer sa mise à mal, que Messiha n’a pas manqué de dénoncer, en rappelant que la justice, si ses tweets sont irrespectueux et blessants, peut se saisir de ces qualificatifs pour le condamner, et a illustré l’absence d’indignation de ceux qui valident l’argumentation de Boyard par divers échantillons de discours tout aussi irrespectueux au sens légal du terme, pouvant également valoir une condamnation, pour incitation à la haine, injures ou xénophobie qu’ont tenu des autoproclamés défenseurs des opprimés, à l’image d’Alice Coffin, Dominique Sopo, le président de SOS Racisme – qui a traité sur Tweeter Messiha de « chameau » ; une citation révélatrice de l’hypocrisie de Sopo et de bien d’autres pourfendeurs du racisme, Yassine Belattar au premier rang, ayant été le premier à utiliser ce procédé d’animalisation contre l’ancien cadre du RN, au caractère délictueux ; alors qu’ils s’étaient tous deux, et c’était tout à fait légitime, mobilisés pour dénoncer le même procédé ignoble qu’ils utilisent lorsqu’il avait été usité au détriment de Christiane Taubira, comparée à une « guenon » – Marwan Muhammad et Idriss Sihamedi (qui se félicitait sur Twitter il y a deux semaines du retour des Talibans au pouvoir en Afghanistan), respectivement ex-directeurs du Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF) et Baraka City, tous deux dissous par le gouvernement pour leur complaisance ou leur soutien en filigrane envers le terrorisme islamique, ou encore de Nick Conrad, le rappeur condamné en 2020 pour sa « chanson » « Pendez les blancs ».
Cinq individus qui disposent toujours d’un accès à Twitter où ils partagent leurs idéologies.
Le pouvoir d’influence
De son côté, Raymond Aabou a souligné la notion d’influence que peuvent avoir les tweets controversés de Messiha, du fait de la quantité d’abonnés qu’avait celui-ci au moment de sa suspension définitive, incomparable avec un « mec » qui aurait « 5 abonnés ».
Une réflexion certes entendable, et qui ne manque pas d’un fond de pertinence, mais qui ne peut être recevable du fait du principe d’égalité des droits et des responsabilités en matière de liberté d’expression, conditions d’utilisation de la plateforme à l’appui, que se doivent de respecter chaque utilisateur et auquel le réseau doit se tenir, sans la moindre distinction.
Quand un espace possédé devient public
Jean Messiha s’est saisi de toutes les armes à sa disposition pour réintégrer le réseau social, et ses demandes sont en cours d’instruction par les salariés de celui-ci. En attendant l’issue de l’arbitrage, qui jusqu’à cette heure ne semble pas tourner en la faveur du demandeur, cet épisode a néanmoins le mérite d’exposer le flou juridique qui demeure face à l’évolution des technologies.
Devant l’utilisation massive des réseaux sociaux, tant par les simples citoyens que ceux qui ont l’ambition de prétendre les représenter, dans les urnes ou en relayant leurs idées, une véritable agora a pris forme, et bien que la loi n’ait pas vocation à réglementer chaque alinéa du règlement intérieur d’une entité privée, il n’en demeure pas moins, qu’à bien des égards, Twitter est aujourd’hui un espace majeur en termes de liberté d’expression, pouvant être considéré comme public, rendant dès lors difficile la censure de personnalités publiques qui n’ont jamais été soumis au verdict défavorable d’un juge quant à leurs prises de positions.
Sources
- Photo de couverture: capture d’écran (C8)