Les Enquêtes du Sup – Politique: réforme de l’Assurance Chômage

Le projet quinquennal de réforme de l’Assurance Chômage

Une nouvelle enquête du Supplément Enragé consacrée au projet quinquennal du gouvernement dans le but de réformer l’Assurance Chômage.

par Waeel Abichou

Le 12 juillet dernier, malgré un rejet récurent par le Conseil d’État depuis quatre ans, le président de la République a réaffirmé sa détermination à mettre en œuvre la réforme du système français d’Assurance-chômage. Cette réforme, annoncée par Emmanuel Macron alors qu’il était candidat à la présidence de la République, suggérait une refonte radicale des règles du régime d’indemnisation du chômage et de sa gouvernance. Elle vise une universalisation de l’éligibilité au système et une étatisation de sa gestion (permise par son financement par l’impôt) ; ce qui bouleverserait la logique socialisée et contributive du système d’Assurance-chômage au principe de l’UNEDIC. Alors que la réforme se présente comme une solution pour lutter contre la précarisation de l’emploi en France, l’engouement de l’opinion et de la représentation pour cette réforme n’a pas été au rendez-vous.

Un projet de restructuration de l’Assurance-Chômage : universaliser son accès et étatiser sa gouvernance

Dès 2018, les parlementaires ont été appelés à examiner le projet de loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » porté par Muriel Pénicaud (ex-ministre du Travail). L’universalisation de l’accès au système s’est traduite par une extension des droits au chômage aux démissionnaires et aux travailleurs indépendants. L’étatisation de la gestion découle de la suppression des cotisations salariales à l’assurance-chômage, compensées par l’affectation d’une fraction de la CSG à l’UNEDIC. Cela induit un affaiblissement du rôle des partenaires sociaux et un renforcement du rôle de l’État et des parlementaires dans la gestion du chômage puisque l’affectation de la CSG au chômage est désormais décidée annuellement à travers des Lois de Financement de la Sécurité Sociale. De même, une lettre de cadrage fixera désormais la trajectoire financière de l’UNEDIC. Cette réforme s’inscrit dans un champ plus vaste d’orientation des politiques d’emploi, en renforçant le rôle de Pôle emploi dans l’accompagnement des travailleurs, et en incitant les populations à l’activité puisque comme l’a rappelé le président le 12 juillet dernier :

« En France, on doit toujours bien mieux gagner sa vie en travaillant qu’en restant chez soi, ce qui n’est actuellement pas toujours le cas ».

Le projet de réforme prévoit un durcissement des conditions d’indemnisation du chômage en allongeant la durée minimale de cotisation requise pour avoir droit aux prestations, passant de quatre à six mois, et une dégressivité de l’allocation des assurés aux plus hauts-revenus au-delà d’une durée d’indemnisation au régime. Le mode de calcul de l’indemnisation est également réformé en asseyant le salaire journalier de référence (SJR), base de calcul du montant de l’allocation-chômage, sur l’ensemble du mois calendaire, et non plus sur les seuls jours travaillés. Enfin, la réforme vise à lutter contre le recours aux contrats-courts par les entreprises en introduisant un mécanisme de bonifications et sanctions pouvant conduire certaines entreprises abusant des contrats-courts à payer plus de cotisations à l’UNEDIC. Cette réforme devrait aboutir à des économies allant de 3 à 4 milliards d’euros.

La réforme du gouvernement est-elle légitime ?

La situation des voisins européens et d’autres pays de l’OCDE peut encourager à réformer le système français d’indemnisation du chômage : en 2019, la France a un taux de chômage bien supérieur à la moyenne des pays de l’OCDE (8,5 % contre 5,4% chômeurs BIT). Malgré un taux de chômage plus élevé que la moyenne, la France fait partie des pays où les prestations de chômage sont généreuses comparé à d’autres pays. A l’inverse, dans certains pays comme le Royaume-Uni ou les États-Unis, le taux de chômage est particulièrement bas (moins de 4 % en 2019). Dans ces pays, la couverture du risque de perte d’emploi est minimale pour inciter à l’activité et à l’épargne individuelle. S’interroger sur la légitimé des règles du régime d’Assurance-chômage a donc sa place dans le débat public.

En 2019, les chiffres du chômage étaient encourageants, puisque le taux de chômage était revenu à son niveau d’avant 2008. Or, avant 2008, l’entrée au régime d’indemnisation du chômage était conditionnée à une durée d’assurance de six mois. Suite à la crise de 2008, les conditions d’affiliation au régime ont été assouplies pour palier à précarité et à la paupérisation de certains privés d’emploi en leur ouvrant des droits à indemnisation à partir de quatre mois cotisés. Il peut donc paraître légitime, une fois la crise surmontée, de vouloir revenir sur ces mesures d’urgence. Cela est d’autant plus conforté par la situation financière de l’UNEDIC qui, malgré un retour à une situation apaisée du marché de l’emploi, accumule une dette qui ne désemplit pas depuis 2008.

Néanmoins, ces mesures, à l’agenda ministériel depuis 2018, ont souffert d’une lente mise en œuvre, entachée de l’absence de soutien au gouvernement par l’opinion publique et les partenaires sociaux, freinée par l’impact de la crise sanitaire, et retardée par les juges constitutionnels. Depuis 2018, le Conseil d’État a été saisi de nombreuses fois par les syndicats qui rejetaient les principes de la réforme. Cela a contraint le gouvernement à réviser son projet pour le rendre applicable : initialement, la réforme devait entrer en application en 2019, mais l’autorité suprême à reconduit son entrée en vigueur à septembre 2020, sous réserve d’une conception commune entre le gouvernement et les partenaires sociaux. La crise sanitaire aurait pu apparaître au gouvernement comme un motif raisonnable de suspendre sa réforme une fois pour toutes. Le gouvernement n’a toutefois pas lâché prise. Reportée à avril 2021, en raison de la crise sanitaire, la mise en œuvre de la réforme a finalement été annoncée pour juillet 2021. Mais en juin 2021, le Conseil d’État s’en est mêlé et a reculé cette mise en œuvre à septembre 2021.

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Le Conseil d’État a repoussé une bonne partie des mesures prévues par le projet de réforme (Source: Jurisbra)

Cette réforme serait une victoire à la Pyrrhus

Face à plusieurs vagues de contestations et à des obstacles conjoncturels, le gouvernement semble manquer de pragmatisme. En voulant mettre en œuvre, quoi qu’il en coûte, sa réforme du chômage, Emmanuel Macron a perdu le soutien des économistes qui le soutenaient lors de sa campagne. Ces derniers, parmi lesquels Philippe Aghion ou encore Jean Pisani-Ferry, critiquent l’absence de prise en compte de la crise économique et sociale causée par la situation sanitaire qui aurait dû suspendre la réforme de l’agenda et conduire à son retrait définitif.

S’il y a une chose sur laquelle les représentants du patronat et ceux des salariés sont parvenus à se mettre d’accord à propos de la réforme de l’assurance-chômage, c’est sur son caractère impertinent et irréalisable. Ces quatre dernières années, les principaux partenaires sociaux (les syndicats présents à l’Unedic, mais également les associations représentant les personnes précaires) ont multiplié les actions pour exprimer leur refus de la réforme. Depuis 2019, l’UNEDIC multiplie les études sur l’impact de la réforme de l’Assurance chômage si elle était mise en œuvre. Ses conclusions sont criantes : la réforme réduirait le nombre de bénéficiaires en les reléguant aux minima sociaux, diminuerait le montant de l’indemnisation, et conduirait les assurés à accepter des emplois qui ne leur plaisent pas. Ainsi, du point de vue du soutien des syndicats, le gouvernement est seul contre tous. Les représentants des salariés accusent le gouvernement de baisser artificiellement les statistiques du chômage, les représentants des cadres pointent un appauvrissement de ces derniers et ceux du patronat s’opposent à une hausse des cotisations patronales.

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Le durcissement des conditions d’indemnisation (Source : Union Départementale CGT-Force Ouvrière)

Cela interroge sur l’état du modèle français de réforme, ce modèle de démocratie sociale qui  prévaut un dialogue social entre les corps intermédiaires et les pouvoirs publics. Dans un décor tout autre, loin des assemblées et des tables de négociations, une série de mobilisations anti-réformes a éclaté dans toute la France ces dernières années, contestant les mesures portées par les gouvernements d’Emmanuel Macron et mettant au jour les conséquences des réformes du quinquennat sur la précarité :  mobilisations des salariés d’entreprises publiques (SNCF, RATP), mobilisations des fonctionnaires, des étudiants, des Gilets Jaunes, Nuit Debout… Cette colère décèle une autre réalité : les revendications de la rue ne sont pas toujours portées lors des débats sociaux, et lorsqu’elles le sont, elles sont ignorées par les gouvernements successifs. La multiplication des manifestations anti-réformes, anti-gouvernement et sans-étiquettes politico-syndicale met le doigt sur l’aspect inopérant du modèle social. Dans une étude de 2020 sur la réforme des retraites, Dominique Andolfatto et Dominique Labbé vont jusqu’à analyser une cartellisation des partenaires sociaux et une marchandisation de la représentation sociale (une trop grande proximité avec les gouvernements et un éloignement des réalités sociales censées être représentées).

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La réforme est contestée dans la rue (Source : SUD Emploi PACA)

Malgré une opposition généralisée au projet de réforme, Emmanuel Macron souhaite mener sa réforme pour porter les autres mesures (telle que la réforme des retraites) et pouvoir ainsi gouverner jusqu’au dernier jour de son quinquennat.

Sources
  • Photo de couverture: NeydtStock
  • Andolfatto, Dominique, et Dominique Labbé. « Crise des retraites : un contre-modèle social ». Le Debat, (vol. n° 209, no 2, Gallimard, mars 2020, p. 4-15)
  • « Assurance chômage, début des négociations ». Les Clés du Social (24 janvier 2018)
  • « Assurance-chômage, le grand flou ». La croix (15 juin 2018)
  • « Assurance-chômage : une réforme légitime ». Les Echos (17 juin 2019)
  • « La situation financière de l’Unédic est-elle vraiment en crise ». Les Clés du Social (18 septembre 2019)
  • « Nouvelle Assurance Chômage …ou mesures d’économie ? », Les Clés du Social (3 août 2019).
  • UNEDIC. 3 études d’impact : Étude d’impact de la réforme de l’Assurance chômage 2019 (21 novembre 2019) ;  Etude d’impact de l’évolution des règles d’assurance chômage au 1er avril 2021 (13 novembre 2020) ; Etude d’impact de l’évolution des règles d’assurance chômage au 1er juillet 2021 (7 avril 2021).
  • « Une indemnisation chômage plus universelle et plus juste, un avis du Conseil d’État ». Les Clés du Social (19 mai 2018)
  • « Une réforme de l’assurance-chômage critiquée par des économistes qui avaient soutenu Macron en 2017 », Le Monde (31 mars 2021)

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