L’Union Européenne et la présidence du conseil de l’UE
Une nouvelle enquête du Supplément Enragé consacrée à la future présidence de la France de l’Union Européenne
par Théo Thuillier
L’Union Européenne et la présidence de son Conseil
Bien qu’il soit très complexe de se repérer dans les institutions de l’Union européenne, il est essentiel de différencier les différents « conseils » existants. Il existe d’un côté le « Conseil européen » qui réunit les chefs d’États et de gouvernement des états membres et de l’autre le « Conseil de l’Europe » cherchant à améliorer la coopération entre les différents États membres.
Aux côtés de ces deux institutions, se trouve le « Conseil » aussi appelé « conseil de l’Union européenne ». Cet organe institutionnel à compétence en matière d’actes législatifs et budgétaires au côté du Parlement européen avec lequel il forme un parlement bicaméral. Le conseil va ainsi représenter les gouvernements tandis que le Parlement représente les citoyens.
Comment fonctionne la présidence du conseil ?
La présidence du conseil est dite « tournante ». Chaque pays de l’Union européenne préside tour à tour le Conseil de l’Union européenne pour une durée de 6 mois. Le pays à la tête de l’institution joue alors un rôle de médiateur afin de parvenir à des consensus entre les États. Mais ces 6 mois sont également un moment important pour les états afin de mettre à l’agenda du conseil certaines de leurs priorités politiques pour l’Union européenne.
L’objectif d’une présidence tournante est simple, elle vise à permettre à tous d’être impliqués dans les affaires européennes tout en renforçant le sentiment d’appartenance à l’Union et la coopération entre les États membres.
Le format de la présidence a pris un virage important avec le Traité de Lisbonne de 2007. Désormais, les pays s’organisent en « trios de présidence ». Un mandat de six mois étant extrêmement court pour mener de vraies réformes, trois pays s’unissent alors pour établir des priorités communes sur 18 mois. Cela permet de tisser des liens entre les pays de l’Union européenne qui sont ainsi forcés à coopérer. La France assurera donc sa prochaine présidence aux côtés de la République Tchèque et de la Suède qui prendront respectivement la présidence le second semestre de 2022 et le premier semestre de 2023.
Quels intérêts à assurer la présidence du conseil ?
Cette présidence est surtout un moment clé pour l’état qui en a la charge afin de peser sur les travaux du Conseil. En effet, il organise les réunions, définit les ordres du jour et c’est à lui que revient la lourde tâche de trouver des compromis. Cette période est donc importante pour tout État souhaitant s’affirmer sur la scène européenne.
De manière plus générale, cette présidence permet à l’État qui en a la charge de « dynamiser le processus législatif européen » en tentant de faire avancer les projets politiques qu’il souhaite. De fait, présider le conseil est aussi une chance majeure pour promouvoir sa vision de l’Europe et faire avancer les causes qui nous sont cher.
Que retenir des dernières présidences françaises au conseil de l’Union européenne ?
Jacques Chirac – 1995
La présidence française de 1995 intervient en pleine période électorale, ce qui eut un impact important sur son efficacité. Ce qui reste de cette présidence, c’est surtout l’impression qu’on a cherché a « déblayer le terrain » sans prendre de grandes avancées spectaculaires, ce qui pourrait pourtant être attendu de la part d’un pays comme la France. Malgré tout, cette présidence aura permis de rassurer l’Europe sur les ambitions de Jacques Chirac avant la révision du Traité de Maastricht. De manière globale, on en attendait plus.
Durant ces six mois, les autorités françaises ont gardé pour ligne une mise en œuvre tenace du Traité de Maastricht en faisant progresser la préparation à l’élargissement de l’Union aux pays d’Europe centrale et orientale (PECO). À côté de cela, une grande importance fut portée au renforcement de la coopération euro-méditerranéenne, à la relance des relations avec la Turquie, à l’adoption d’aides financières extérieures… Sur le plan économique, la chute non-maîtrisée du dollar a permis de convaincre les Européens de la nécessité de s’en affranchir par l’accès à une monnaie unique. On cherche, en parallèle, à mettre en place une réflexion commune pour résorber le chômage et rétablir l’emploi. De manière générale, la présidence française aura servi à préparer le terrain pour de futurs grandes avancées, qu’elle n’aura pas pu prendre.
Jacques Chirac – 2000
La présidence de 2000 s’est quant à elle concentrée sur trois axes majeurs : la croissance et l’emploi, une Europe plus proche des citoyens et un renforcement des institutions. Dans la mémoire collective, cette présidence n’aura pas su marquer les esprits. C’est surtout le Conseil européen de Nice, venant clôturer la présidence française les 8 et 10 décembre 2000, qui a accéléré l’adoption de nombreuses mesures comme la proclamation d’une Charte des droits fondamentaux et une réforme des institutions. Les accords obtenus permettront, encore une fois, la mise en place de futures grandes avancées, mais la présidence en elle-même gardera un impact assez limité.
Nicolas Sarkozy – 2008
Après le « non » au referendum de mai 2005 sur la Constitution européenne, la présidence française de 2008 s’avérait cruciale. Tout le monde scrutait ce moment signifiant « le retour de la France en Europe et de l’Europe en France ». Contrairement aux deux précédentes présidences, celle de 2008 jouera un rôle important en s’inscrivant dans une période charnière concernant l’avenir de l’Union européenne.
D’un côté, elle doit préparer la mise en œuvre du Traité de Lisbonne et de l’autre, elle doit entamer les négociations en vue de la nomination du futur président permanent de l’Europe. De plus, elle s’inscrit dans un cadre géopolitique complexe avec des échéances internationales très importantes comme les Jeux olympiques de Pékin, les élections présidentielles aux États–Unis , qui vit Barack Obama, le premier homme noir accéder à cette fonction et en Russie (et ses volontés expansionnistes en Géorgie).
Si les thèmes de la présidence étaient au nombre de cinq ; l’immigration, la lutte contre le changement climatique, l’énergie, la défense et la réforme de la Politique Agricole Commune (PAC) ; la réussite de cette présidence est surtout le fait d’un homme : Jean-Pierre Jouyet. Ce dernier, alors ministre des affaires européennes, disposait d’un capital sympathie extrêmement important en Europe. Il permit notamment de relancer le projet d’Union pour la Méditerranée de Nicolas Sarkozy tout en permettant des avancées majeures dans les thèmes de cette présidence. Bien plus qu’une simple présidence, ces six mois « à la tête de l’Europe » se sont surtout présentés comme un véritable test des talents diplomatiques de Nicolas Sarkozy, extrêmement décriés à l’époque, mais également une étape importante pour observer l’avancée de la diplomatie française vers la modernité.
Le test semble avoir été passé avec succès dans sa grande majorité.
Quels enjeux et quels intérêts pour la présidence française au conseil de l’UE en janvier 2022 ?
La présidence française du premier semestre 2022 s’inscrit encore dans une période d’élection présidentielle où les débats s’annoncent tendus. Elle s’avère être une occasion rêvée de mettre les questions européennes sur le devant de la scène dans un pays où l’euroscepticisme commence à gagner les sphères politiques autant à droite qu’à gauche.
De manière générale, Emmanuel Macron tentera de convaincre ses partenaires de l’importance de la solution européenne à long terme. Au travers de la devise de cette présidence — « relance, puissance, appartenance » — Emmanuel Macron met en avant la nécessité de mettre en place une Europe plus solidaire et plus souveraine.
Le président a tenu à faire de cette période un événement pour tous les Français. Au travers des comités, ils cherchent à recueillir l’avis de tous sur ce que doivent être les priorités de cette présidence. Le comité culturel, notamment, devait mettre en place des spectacles, des créations visuelles et littéraires, audiovisuelles ou encore des débats d’idées dans l’objectif de « faire vivre l’Europe partout en France à partir de l’année 2021 ». De plus, 2021, devait être une année pour faire « vivre l’Europe partout en France ». Au travers de la « Conférence sur l’avenir de l’Europe », Emmanuel Macron entendait inclure les Français dans le dispositif dès cette année.
Si la volonté de construire une Europe plus solidaire et plus souveraine inondera le premier semestre 2022, de grands axes se dégagent déjà comme la révision des règles budgétaires, la transition numérique, les enjeux climatiques et les droits sociaux. Considérer comme un européen convaincu, Emmanuel Macron aura également à cœur de faire vivre le débat, d’européaniser les politiques tout en continuant de faire la promotion de la citoyenneté européenne.
Cette présidence s’avère être la 13e de la France, mais la première depuis le Traité de Lisbonne. Ce dernier incombe aux États de nombreuses responsabilités lorsqu’ils sont « à la tête de l’Europe ». Il incombe des responsabilités individuelles, évidemment, en défendant les positions du conseil de l’Union européenne face aux autres institutions. Mais il incombe également des responsabilités plus politiques en faisant avancer les dossiers en cours ainsi que l’agenda stratégique du Conseil. Reste à voir si la France, son président actuel et peut-être son successeur, sauront être à la hauteur des événements.
Sources
- Photo de couverture: Le Parisien