Politique éloquente et défenseuse des droits humains :
Christiane Taubira, l’électron libre de la gauche
Par Anna Harbonn
Femme politique et figure populaire de la gauche, Christiane Taubira a défendu les droits des personnes noires, des migrants et des couples homosexuels. Ses prises de positions lui ont valu d’être insultée par ses opposants politiques, à qui elle a toujours répondu avec droiture et éloquence. Christiane Taubira est connue pour son lyrisme, ses réponses construites aux nombreuses attaques racistes et misogynes qu’elle a dû essuyer publiquement lorsqu’elle était garde des Sceaux. Elle n’a pourtant pas attendu d’être ministre pour se confronter au racisme. Elle raconte y avoir été confrontée pour la première fois dans les années 1970, en arrivant de Cayenne, où elle est née en 1952, et à Paris, pour y suivre des études de sciences économiques à l’université d’Assas. Elle y commence également son éducation politique, en fréquentant les milieux de gauche.
Christiane Taubira devient professeure de sciences économiques en 1978 et retourne enseigner en Guyane. C’est à ce moment-là que débute sa carrière politique en militant au sein du Mouvement guyanais de décolonisation (MOGUYDE) fondé par son mari Roland Delannon en 1974. Alors qu’elle devait signer un contrat de professeure-chercheuse à l’Université du Québec de Montréal, Christiane Taubira est sollicitée pour prendre la tête de divers instituts d’économie locale en Guyane ; elle quitte alors l’enseignement en 1982 et dirige successivement différents organismes guyanais, antillais et caribéens entre 1982 et 1988.

En 1992, Christiane Taubira et son mari fondent le parti Walwari, dont elle prend la présidence. Dès 1993, elle est alors élue députée sans étiquette dans la première circonscription de Guyane et intègre le groupe parlementaire République et Liberté. En 1994, elle est quatrième de la liste Énergie radicale menée par Bernard tapie aux élections européenne, et siège en tant que députée européenne jusqu’en 1999, en parallèle de son mandat national. Elle participe également aux première élections multiraciales d’Afrique du Sud en tant qu’observatrice parlementaire. En 1997, elle rejoint le groupe socialiste après sa réélection à l’Assemblée Nationale.
Défenseuse des droits humains et élections présidentielles
L’Assemblée nationale vote la loi tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité, dite loi Taubi,ra qui en était la rapporteuse, le 10 mai 2001. Cette loi reconnait la traite négrière et l’esclavage comme crimes contre l’humanité. Elle prévoit également l’insertion de ces faits historiques dans les programmes scolaires et le développement des recherches scientifiques à ce sujet. Malgré l’avancement dans les droits humains que représente cette loi, elle est critiquée car elle se limite à la traite européenne. Christiane Taubira reconnaît en effet avoir éclipsé la question de l’esclavage dans le monde arabo-musulman pour que les jeunes Arabes de France ne portent pas le poids de l’héritage de ces méfaits sur leurs épaules.
Christiane Taubira se porte candidate aux élections présidentielles d’avril 2002 pour le Parti radical de gauche avec une campagne axée sur « l’égalité des chances ». Elle obtient 2,32% des voix. Certains socialistes considèrent que la candidature de Christiane Taubira a contribué à l’éparpillement des voix des électeurs de gauche et a causé l’échec de Lionel Jospin au 1er tour. D’autres objectent cependant que Christiane Taubira avait proposé une alliance à Lionel Jospin, à laquelle ce dernier n’avait jamais répondu. Elle est par la suite réélue députée de la 1ère circonscription de Guyane en juin 2002.
En 2006, elle se déclare candidate à l’investiture du Parti radical de gauche pour l’élection présidentielle de 2007. Ce dernier renonce par la suite à présenter une candidature, préférant former une alliance avec le Parti socialiste. Christiane Taubira quitte alors le parti pour rallier l’équipe de campagne de Ségolène Royale. Lors des élections législatives de juin 2007, au cours desquelles elle est réélue députée apparentée socialiste, elle déclare avoir été approchée par l’entourage de Nicolas Sarkozy avant la fin de la présidentielle pour faire partie du gouvernement, mais avoir décliné l’offre.
Le mariage pour tous et des insultes pour Christiane Taubira
A la suite de l’élection de François Hollande, Christiane Taubira est nommée pour la première fois au gouvernement et devient garde des Sceaux le 16 mai 2012. Dès sa nomination, elle est la cible de critiques de l’UMP et du FN qui lui reprochent son laxisme. Le projet phare de son mandat est le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, qu’elle qualifie de « réforme de civilisation ». Lors des débats au Parlement, Christiane Taubira est particulièrement présente, et ses prises de parole suscitent le respect. Le 29 janvier 2013, Christiane Taubira défend pendant près de quarante minutes l’ouverture du mariage et de l’adoption aux personnes de même sexe, sans jeter un coup d’œil à ses notes.

Femme, ministre de gauche et noire, Christiane Taubira devient la cible des réactionnaires de tous bords. Comme Simone Veil qui avait dû subir en son temps des apostrophes antisémites en défendant la loi menant à la légalisation de l’IVG, Christiane Taubira est placée sous protection policière et devient la cible d’injures racistes sur les réseaux sociaux et lors de ses déplacements officiels, durant lesquels elle est accueillie par des insultes, des pancartes portant l’inscription « Y a bon Banania ». En octobre 2013 à Angers, une petite fille l’apostrophe « La guenon, mange ta banane ». En 2014, la une du journal d’extrême droite Minute, condamné depuis, compare Christiane Taubira à un singe. En 2015, Gérald Darmanin, alors député UMP et aujourd’hui ministre de l’Intérieur, dira de Christiane Taubira qu’elle est « un tract ambulant pour le FN ». La loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe est approuvée tout de même par l’Assemblée nationale le 17 mai 2013, avec des applaudissements retentissants.
« Parfois résister c’est rester, parfois résister c’est partir. Par fidélité à soi, à nous. Pour le dernier mot à l’éthique et au droit »
Le 27 janvier 2016, le Gouvernement fait savoir que Christiane Taubira démissionne de son poste de garde des Sceaux. Elle s’exprime alors sur twitter : « Parfois résister c’est rester, parfois résister c’est partir. Par fidélité à soi, à nous. Pour le dernier mot à l’éthique et au droit ». L’aile gauche du gouvernement regrette la démission de celle qui est souvent considérée comme franc-tireur pour sa faculté à s’écarter de la ligne tracée par son camp, tandis que l’opposition se réjouit de la fin d’une politique pénale qu’elle considère trop laxiste.
L’espoir déchu de la gauche
Elle soutient Benoît Hamon avant d’appeler à voter Macron au second tour des élections présidentielles de 2017. Figure populaire de la gauche, elle déplore l’inaction des gouvernements européens dans leur politique d’accueil des migrants, et est approchée par plusieurs formations en vue des élections européennes de 2019. Elle refuse néanmoins de s’engager dans une « gauche éclatée où chacun avance dans son couloir et ne se rend pas compte du désastre… Un rapprochement serait un minimum, mais cela ne suffira pas ». Elle finit néanmoins par soutenir la liste de Raphaël Glucksmann.
Si elle n’a pas répondu au mot-clé #Taubira2017 qui circulait sur les réseaux sociaux au moment de la dernière présidentielle, certains électeurs qui croient en la réunification de la gauche espèrent encore qu’elle montera au créneau, se fiant à sa déclaration de septembre 2019 au micro de France Inter : « S’il se dégage que c’est à moi qu’il reviendra de tenir le gouvernail […] oui je serai là ».
Pour autant, alors que le camps de gauche ne s’est une nouvelle fois pas organisé pour son union, les différents candidats des obédiences politiques de gauche font cavaliers seuls. Aussi, Christiane Taubira ne sera pas candidate, au profit de cinq candidatures.